Interview avec Dr. Maria Flachsbarth, Secrétaire d’Etat parlementaire auprès du Ministre de la coopération économique et du développement à Berlin
Avant le 1er voyage de la chancelière Angela Merkel prévu du 29 au 31 août au Sénégal, au Ghana et au Nigéria, nous nous sommes entretenus avec la secrétaire d’Etat parlementaire au ministère fédéral de la coopération économique et du développement, Dr. Maria Flachsbarth, le 15 août 2018 à Berlin.
Le Ministre de la coopération économique a dit dans son discours du 21 mars (au Bundestag) : « nous allons appliquer des normes dans les chaînes de livraisons internationales du champ de coton au fer à repasser ». N’est-ce pas un défi logistique très ambitieux ?
Dr. Flachsbarth : Nous l’avons abordé dans le cadre de l’alliance sur le textile. Justement, au courant de cette semaine, les entreprises membres de l’alliance textile ont, pour la première fois, présenté un catalogue de mesures contraignantes que chaque membre s’engage à respecter et dit : « C’est ce que nous voulons atteindre jusqu’à l’année prochaine ». Il s’agit de normes sociales telles de la question de salaires équitables, l’abolition du travail des enfants et la réglementation du temps de travail. Mais il s’agit aussi de normes écologiques. Il y a 160 produits chimiques qui ont été identifiés et qui devront, petit à petit, être éliminés de la production textile. Il s’agit d’autre part, de la gestion de l’eau et d’autres défis. Ces défis sont contraignants et les membres devront en faire un rapport au plus tard dans un an et dire où ils en sont. C’est la raison pour laquelle nous sommes d’avis que c’est un processus transparent et ambitieux. Nous voulons introduire sur le marché un « label vert » comme référence pour tous les autres labels existant déjà.
Comment les consommateurs s’en sortiront, compte tenu des nombreux labels que existent déjà ?
Dr. Flachsbarth : C’est justement à ce problème que nous voulons nous attaquer avec le label vert. Nous avons l’intention d’en faire un symbole de référence et fiable pour la confection équitable et durable de vêtements. Si les consommateurs achètent des habits avec le label vert, ils pourront compter sur l’Etat allemand qui leur garantit que la production a été faite dans des conditions sociales et écologique acceptables. Ensuite, des contrôleurs indépendants font vérifier si les normes ont été respectées.
Cela suffit-il si seulement l’Allemagne s’y engage ? C’est après tout un sujet qui concerne toute l’Union européenne.
Dr. Flachsbarth : C’est exact ! Mais l’Allemagne est le second importateur de produits textiles du monde. Raison pour laquelle nous sommes un important acteur international. Et ceci sera respecté dans le monde si nous introduisons une telle norme sur le marché. Comme vous le savez, le Parlement européen sera réélu en 2019. Et on perdrait du temps si nous n’agissions pas maintenant ou si nous attendions les autres. Notre approche applique les contraintes des entreprises dans le respect des engagements pris par l’OCDE. Et dans ce cadre, nous prenons la bonne voie qui incombe au leader international que nous sommes en montrant que ça marche.
Venons-en au foyer de tensions que représente l’Afrique de l’Ouest. La chancelière va visiter le Sénégal, le Ghana et le Nigéria du 29 au 31 août 2018. Serez-vous du voyage ?
Dr. Flachsbarth : Non ! Mais Dr. Gerd Müller, notre ministre de la coopération économique la rejoindra au Ghana après avoir été dans six autres pays d’Afrique de l’Est en en Afrique du Sud.
L’Allemagne a déjà signé des accords bilatéraux de réforme partenariale avec la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Tunisie. En sera-t-il de même avec le Sénégal le 29 août prochain ?
Dr. Flachsbarth : Je ne peux pas l’exclure. En effet, nous observons le Sénégal avec confiance, parce que nous constatons que le pays se dirige résolument vers un développement qui, de notre point de vue, s’oriente vers le futur. La chancelière abordera sûrement ce sujet pendant son séjour au Sénégal.
C’est une réponse diplomatique !
Dr. Flachsbarth : Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous en dire ce que la chancelière et le ministre de la coopération économique mettront sur pied à Dakar.
La Chancelière fédérale d'Allemagne Angela Merkel avec le Président du Sénégal Macky Sall
Malheureusement, en Allemagne et en Afrique de l’Ouest, la presse dit que la chancelière va en Afrique de l’Ouest pour y parler des réfugiés. N’y a-t-il pas un autre sujet qui lie l’Allemagne et l’Afrique de l’Ouest ?
Dr. Flachsbarth : Il s’agira de coopération au développement. Dans l’intitulé de notre ministère figurent les mots « coopération et développement » et surtout durable. Le fait de voir que l’Afrique est un continent extrêmement jeune et que des jeunes gens y vivent, comme chez nous en Allemagne, à la recherche de leur développement personnel et économique, nous oblige d’essayer à proposer aux pays africains une aide afin qu’un développement qui leur ouvre une chance vers le progrès y voit le jour. Ceci est la philosophie de notre ministère.
Le radeau de Lampedusa «Musée sous-marin du sculpteur Jason deCaires Taylor à Lanzarote/Espagne sur les migrants africains naufragés »
Quand l’ancien chancelier Helmut Kohl partait en Afrique pour la première fois en 1988, j’avais interviewé votre prédécesseur, Dr. Volkmar Köhler, en avril 1988 pour l’hebdomadaire économique Wirtschaftswoche. Il me disait la même chose il y a 30 ans. Comment se fait-il que votre ministère n’ait pas encore trouvé de solution ?
Dr. Flachsbarth : Le développement de l’Afrique ne se résout pas grâce à un processus décisionnel du Bundestag, du gouvernement allemand, du Parlement européen ou de la Commission européenne mais dépend des Africains. Et d’ailleurs qu’est-ce qui nous permet d’imposer aux Africains ce qu’ils doivent faire ? Nous pouvons les aider mais en fin de compte, les décisions incombent aux Africains. Ceci est la raison pour laquelle nous saluons l’initiative de l’Union africaine qui a élaboré un « agenda 2063 » dans lequel elle définit clairement ses propres objectifs. Et c’est en cela que nous allons juger nos partenaires africains.
Mais il s’agit d’environ 50 Etats qui sont aussi différents entre eux que l’Allemagne et la Roumanie par exemple. Voilà pourquoi ils ne pourront pas tous atteindre ces objectifs.
Dr. Flachsbarth : Je salue ouvertement que dans le cadre de l’Union africaine, 44 des 54 Etats africains aient pris la décision de mettre en place des zones économiques et d’élargir leur commerce intérieur qui se limite actuellement à 18%. En Europe, nous en sommes entre 60% et 70% car nous avons vu que chaque branche est en mesure d’augmenter sa contribution. Ceci prouve qu’une coopération est nécessaire. Vous avez certes raison de venir à notre ministère pour y réclamer plus d’aide économique mais cela ne pourra se faire que la cadre d’une collaboration. Il nous faut des gouvernements africains qui placent le bien commun au centre de leur travail.
Vous parlez des gouvernements africains et nous plaidons pour une collaboration entre les PME allemandes et africaines.
Dr. Flachsbarth : Cela fait partie de nos priorités. Mais il faut un cadre qui encourage les entreprises allemandes et européennes à investir. Dans quelques jours, je vais avoir un entretien à la Chambre de commerce et d’industrie de Hanovre et en profiter pour attirer leur attention sur le marché africain. Mais naturellement, on me pose tout le temps la question : « Suis-je sûr de récupérer ce que j’ai investi ». Ceci est surtout valable pour les PME qui sont l’épine dorsale de notre économie et qui assure 80% des emplois. Et c’est dans ce sens qu’on a en 2017, pendant que nous assurions la présidence du G20, mis sur pied l’initiative Compact with Africa et avons veillé à ce que les pays africains mettent en place un système fiscal, un cadastre et une Cour des compte raisonnables avec l’aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Voilà des conditions très importantes en dehors de l’Etat de droit et des tribunaux indépendants dont on a urgemment besoin pour introduire une économie durable. Mais il est possible qu’on n’est pas eu cette présence d’esprit dans les années 80.
Dans ce cas, je vous fais la proposition suivante. Invitez-nous à la Chambre de commerce et d’industrie de Hanovre et nous montrerons au secteur privé, comment nous voyons la collaboration avec l’Afrique de l’Ouest.
Dr. Flachsbarth : Super ! Je le ferais volontiers. D’autre part, le Land de la Basse-Saxe a avec Bernd Althusmann un ministre de l’économie qui a dirigé pendant quatre ans la Fondation Konrad Adenauer en Namibie et par conséquent, connait l’Afrique Australe et s’intéresse beaucoup à la collaboration avec l’Afrique. J’aimerais qu’il prenne part aux débats tout comme vous et les ambassadeurs africains installés en Basse-Saxe. Vous n’êtes pas sans savoir que Volkswagen s’est engagée dans le projet « Moving Rwanda ». Voilà pourquoi je pense que la volonté ne fait pas défaut mais les PME me disent que Volkswagen pourra s’en sortir si ça ne marche pas mais nous ne pouvons pas nous le permettre. Afin de contrecarrer ces soucis, il nous faut faire évoluer l’assurance export de Euler Hermes et à très court terme, une loi sur les investissements de développement. Mais tout d’abord, il faut que nos partenaires africains nous signalent qu’ils prennent ces problèmes de PME au sérieux et y répondent.
Avez-vous déjà ciblé des pays africains ?
Dr. Flachsbach : Dans le cadre du Plan Marshall avec l’Afrique, nous avons signé des accords de réformes partenariales avec une série de pays africains qui ont fait des efforts dans le domaine de la démocratie et de l’Etat de droit. La Tunisie, le Ghana et la Côte d’Ivoire sont les premiers pays partenaires avec lesquels nous avons l’intention de collaborer intensivement pour récompenser leurs efforts. Mais il y aussi des signes d’espoir au Sénégal et d’autres pays pour lesquels nous espérons établir un partenariat s’ils nous envoient des signaux clairs avant d’entamer des négociations.
C’est une belle transition sur l’initiative « Plan Marshall avec l’Afrique ». Le Ministre de la coopération Dr. Gerd Müller nous avait invités le 28 mars 2017 lors de l’inauguration de cette initiative et à cette occasion, je lui avais fait part de l’erreur de gouvernement allemand lors de l’envoi de médecins allemands en Afghanistan. Il fallait à ces médecins des interprètes et des indemnités de dépaysement bien que plus de 500 médecins afghans diplômés en Allemagne et travaillant ici n’aient été consultés.
Dr. Flachsbarth : Je comprends que vous voulez en venir à l’implication de la diaspora africaine.
Exactement ! Nous sommes une association avec des ingénieurs sénégalais qui travaillent dans de grandes entreprises et des PME allemandes. On n’a jamais fait appel à nous et le premier qui a participé à l’une de nos manifestations (3ème sommet économique Allemagne-Sénégal du 4 novembre 2016 à la Maison des chefs d’entreprise de Duisbourg) était Monsieur Thomas Silberhorn, votre prédécesseur à ce poste et qui est entre-temps secrétaire d’Etat parlementaire au ministère de la défense. Ce qui veut dire que depuis 30 ans votre ministère accorde peu d’importance à la diaspora africaine bien qu’elle pourrait être une énorme source dans le cadre de la coopération de développement.
Dr. Flachsbarth : L’implication de la diaspora est une nécessité absolue.
Secrétaire d’Etat parlementaire Silberhorn au sommet économique Allemagne-Sénégal
Dans ce cas, comment pouvons-nous collaborer ?
Dr. Flachsbarth : Ça peut aller très vite. En ce moment, nous réfléchissons dans le cadre des initiatives Compact with Africa et Plan Marshall avec l’Afrique, à comment s’adresser aux entreprises. Voilà pourquoi j’aimerais planifier la manifestation avec la Chambre de commerce et d’industrie de Hanovre pour m’informer sur les lacunes qui existent. J’ai reçu une étude très intéressante venant du Land du Bade-Wurtemberg qui montre selon leur ministère de l’économie où se situent les lacunes. Ils ont cité les structures peu claires en Allemagne et en Afrique comme problématique : à qui m’adresser concernant les moyens de subvention économique ? Ou, comment m’en sortir dans un pays africain ? Mais à chaque fois, ils ont parlé de corruption. Et il faut surmonter ces difficultés.
Avec nous, il n’y aura ni corruption, ni interprète, ni prime de dépaysement, ni décalage horaire parce que nous sommes en Allemagne. Vous pouvez exécuter des projets qui ne sont pas gigantesques tels que la construction de barrages avec notre collaboration.
Dr. Flachsbarth : C’est ce que nous voulons aussi. Nous voulons promouvoir les PME, la formation et la production pour le marché intérieur africain. C’est encore un champ à irriguer. C’est la raison pour laquelle nous approuvons l’initiative « Afrique 2063 » de l’Union africaine, qui veut promouvoir ce marché. Comme vous le savez, en Afrique il y a aussi un déficit commercial pour des produits qui auraient pu être transformés sur place. Voilà un projet sur lequel nous pourrions collaborer afin d’ouvrir des perspectives aux jeunes pour qu’ils trouvent du travail en Afrique.
Je m’adresse maintenant à la citoyenne du Land de la Basse-Saxe que vous êtes. Nous nous sommes adressés à une école d’agronomie de la ville de Nienburg concernant la production de pommes de terre, d’élevage et la formation de techniciens agricoles. C’est grâce à l’entreprise Grimme, producteur de machines agricoles en Basse-Saxe, qu’on a eu cette idée. Ils ont constaté un gaspillage après la récolte de pommes de terre au Sénégal. 30% de la pomme de terre reste sous terre après la récolte manuelle à cause du manque de machines agricoles.
Dr. Flachsbarth : Et après surviennent les pertes après la récolte à cause des problèmes de stockage, de réfrigération, des réseaux de transports difficiles et des paysans qui n’ont aucune possibilité d’emballage. Vous savez que je viens du ministère de l’agriculture ; voilà pourquoi je suis habituée à ces sujets. C’est la raison pour laquelle on a créé des « centres verts » dans environ 15 pays où nous essayons de développer des innovations adaptées à l’agriculture locale : méthodes de production, récolte, stockage, conservation et transformation. L’Afrique est surtout un fournisseur de matières premières et la transformation qui génère de la valeur ajoutée se fait autre-part. Prenons l’exemple du café et du cacao. C’est une aberration de voir que leur transformation se passe autre-part qu’en Afrique. Et c’est surtout cela dont nous ne voulons pas. Nous voulons apporter plus de soutien à ce niveau et autrement que nous l’avons fait pendant longtemps par le passé.
Comment voyez-vous la collaboration entre l’école d’agronomie de Nienburg et le Sénégal ?
Dr. Flachsbarth : Déposez votre demande dès que vous serez prêts et vous obtiendrez de ma part un interlocuteur au ministère ou à la GIZ qui pourra vous aider à mettre ce projet sur pied.
Je m’adresse maintenant à la vétérinaire que vous êtes parce que nous ne nous limitons pas seulement à la pomme de terre. Il s’agit aussi d’élevage, qui du fait des petites exploitations en Afrique de l’Ouest, ne peut être soutenu qu’à travers une méthode décentralisée.
Dr. Flachsbarth : Je tiens aussi à la santé du bétail car certaines couches sociales défavorisées, les femmes enceintes et les enfants ont besoin d’une alimentation riche en protéines à certaines étapes de leur vie. En d’autres termes, il faut un bétail en bonnes santé. D’autre part, il y a des maladies qui se transmettent du bétail aux êtres humains et vice versa ; raison pour laquelle, il faut certaines compétences et nous sommes en train d’initier des projets très concrets comme par exemple la lutte contre la peste des petits ruminants dans le cadre de notre initiative « un monde sans faim » en y impliquant l’OIE (Office Internationale des Epizooties) de Paris et l’ILRI (International Livestock Research Institute), l’institut international de recherche sur l’élevage, basé à Nairobi, qui ont de bonnes connaissances dans le domaine de l’agriculture de la protection des animaux.
Nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’à Paris car pour un tel projet, nous pouvons rester à Hanovre au Salon EuroTier (Salon mondial de la protection animale) qui aura lieu en novembre 2018. Nous pourrions y démarrer notre projet avec l’école d’agronomie de Nienburg, les entreprises de la Basse-Saxe et la Société allemande de l’agriculture.
Dr. Flachsbarth : Allons-y ! Mais il faudra être plus concret que trois noms que vous citez. Quand je rencontre un entrepreneur allemand, je lui demande systématiquement ce qu’il fait en Afrique. Ceci est aussi valable pour La Deutsche Messe AG de Hanovre (Salons de Hanovre). Nous examinerons volontiers votre projet au ministère et s’il est prometteur, nous le signerons avec plaisir. Ceci dit, il faut qu’il soit en adéquation avec nos conditions de subvention. Je vous prie de nous contacter. Cela ne sert à rien de dire : « personne ne nous consulte ou on ne nous a jamais contacter ». Venez nous voir ! D’autres ONG le font aussi.
Je m’adresse à présent à la femme que vous êtes. Deux projets concernant les femmes ont été initiés en 2017 pendant la présidence de l’Allemagne dans le cadre l’initiative Compact with Africa :
- #eSkills4Girls Initiative
- The Women Entrepreneurs Finance Initiative (We-Fi)
Y a-t-il des projets de votre ministère spécialement réservés aux femmes en Afrique. Afin d’étayer ma question, je vous raconte ce que Jane Fonda qui possède aussi une Fondation a dit lors du gala de l’UNESCO qui a eu lieu le 14 novembre 2009 à Düsseldorf : « Quand je donne mon argent à des hommes en Afrique, ils vont avec au bar et quand je donne mon argent aux femmes, elles l’investissent pour leurs enfants. ».
Dr. Flachsbarth : Dr. Gerd Müller, notre ministre de la coopération économique l’a répété plusieurs fois. Nous avons aussi des projets de ce genre et vous donnerons une liste concernant la promotion des femmes que vous pourrez publier.
Madame la secrétaire d’Etat parlementaire, je vous remercie pour cet entretien.
Propos recueilli par Ibrahim Guèye
Secrétaire d’Etat parlementaire Dr. Maria Flachsbarth avec Ibrahim Guèye
Photos de la visite de la chancelière Angela Merkel le 28 août 2018 au Sénégal